Le Vanuatu est un pays de tradition orale, où la transmission du savoir a toujours reposé sur la mémoire plutôt que sur l'écrit. L'écriture a été introduite par les missionnaires d'une part, et par l'école moderne d'autre part.
Les enfants du nord du Vanuatu découvrent l'écriture dans d'autres langues que la leur. La langue choisie par les missionaires anglicans, au XIXème siècle, a d'abord été le mota; l'école moderne emploie le français, l’anglais, et le bislama. Les locuteurs de langues vernaculaires n'ont guère d'occasion de lire, ou d'écrire, leur propre langue: même s'ils la parlent couramment, ils ne connaissent pas d'orthographe stable pour la transcrire. Il est parfois possible de deviner une orthographe, tant bien que mal, en s'inspirant du français ou de l'anglais appris à l'école. Mais lorsque les langues ont des phonologies complexes (comme en particulier au nord du Vanuatu, avec jusqu'à 12, 14, ou 16 voyelles), il arrive souvent que les locuteurs préféreront attendre l'avènement d'une orthographe officielle, stable et formelle, avant de commencer à écrire leur propre langue. En attendant, ils associeront l'usage de l'écrit (panneaux, lettres, aujourd'hui SMS et réseaux sociaux) à d'autres langues que la leur. Cette situation tend à affaiblir la viabilité des langues vernaculaires à long terme.
Depuis 2000, je tâche de concevoir une orthographe adaptée pour chaque communauté linguistique que je visite. La première étape consiste à identifier le système phonologique de chaque langue séparément, et concevoir une orthographe. J'organise alors des réunions publiques dans chaque communauté, afin de présenter mon orthographe, et discuter des cas les plus difficiles. Une fois qu'une orthographe stable a été décidée – souvent appelée le “véritable alphabet” de la langue – j'entreprends la création de documents d'apprentissage pour la langue considérée. Cet effort s'ajoute à mon travail de recherche, et occupe souvent mes weekends; mais je le fais avec plaisir, car j'espère ainsi pouvoir être utile aux communautés qui m'ont appris leurs langues.
Au fil des années, j'ai ainsi pu créer un certaine nombre de livrets pour l'alphabétisation – 18 livres à ce jour. Ils sont de deux sortes:
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des Abécédaires – qui exposent et illustrent l'orthographe de la langue, lettre à lettre;
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des Livres d'histoires – recueils de récits divers, généralement issus de mes enregistrements de littérature orale.
Ces livres sont unilingues, et richement illustrés – par ma femme Sawako.
Lorsque je termine un ouvrage, j'en imprime quelques exemplaires et pars les présenter à la communauté, lors d'un voyage ultérieur. Si elles l'approuvent, je fais en sorte que ce livre soit introduit dans le système scolaire local. Je suis encouragé, en cela, par la nouvelle que le gouvernement du Vanuatu est désormais prêt à souvenir les langues vernaculaires du pays.
En 2006, l'Alliance Française de Port-Vila a aimablement financé l'impression de 600 livrets pour la langue mwotlap. Quant aux autres livrets, ils sont prêts, et approuvés par les communautés; je recherche actuellement des financements afin de m'aider à produire suffisamment d'exemplaires pour les écoles et les villages. [N'hésitez pas à m'écrire si vous avez des idées pour m'aider!]
Les livrets sont tous disponibles (en Pdf) sur cette page.