Langues et tradition orale à Vanikoro
En tant que linguiste au CNRS, j'ai eu le plaisir de prendre part à cette expédition. Profitant de ma connaissance des langues mélanésiennes parlées au nord Vanuatu, ma mission était de m'initier aux langues parlées à Vanikoro, afin de mener mes enquêtes dans la langue même des habitants. Mon travail consistait donc autant à étudier les langues elles-mêmes — très mal connues, et peu décrites jusqu'à présent — qu'à enregistrer la tradition orale des habitants de Vanikoro, en particulier autour de la mémoire du naufrage de Lapérouse.
L'île de Vanikoro est peuplée par environ 1300 habitants (en 2009), dont 800 Mélanésiens et environ 500 Polynésiens. Ces derniers sont arrivés au cours des derniers siècles, en lien avec l'île polynésienne de Tikopia; la langue qu'ils parlent s'appellent le tikopia (ou tikopien). Quant aux Mélanésiens, ce sont les premiers habitants de l'île de Vanikoro. Ils parlent trois langues, appartenant à la famille dite océanienne: le teanu, le lovono, le tanema. Il faudrait plutôt dire “ils parlaient trois langues”, car aujourd'hui le lovono n'est plus connu que de 4 locuteurs, et le tanema d’un seul; ces deux langues ont été remplacés par le teanu. [voir les cartes] En 2012, lors d'une brève expédition à Vanikoro, j'ai pu rencontrer Lainol Nalo, le dernier locuteur du tanema, et enregistrer ce qu'il était possible de sa langue avant qu'elle ne disparaisse tout à fait. [voir le reportage du journal Der Spiegel]

Enfin, outre les pressions qu'exercent les langues entre elles (ex. le teanu menace les deux autres langues mélanésiennes), il existe également une menace plus globale: celle qu'exerce la langue véhiculaire de la République des Îles Salomon, le “pidgin”. Derrière cette langue de contact, se profile une ombre encore plus vaste, du moins à long terme, celle de l'anglais. Face à cette langue officielle, langue de l'école et de la radio, que peuvent des petites langues parlées par quelques centaines d'habitants à peine? Ainsi, autant mes enquêtes historiques s'inscrivaient dans l'Histoire, autant l'on peut dire que mes recherches linguistiques proprement dites se sont donc déroulées sous le signe de l'urgence.