La musique
Les chants de la tradition
© A. François
Les chants nobles de la tradition sont interprétés à l'occasion de cérémonies coutumières, notamment autour de la personne des chefs ; de nos jours, en outre, ils célébreront la visite d'un évêque anglican ou d'un ministre du gouvernement du Vanuatu. Un peu l'équivalent des chants religieux de nombreuses cultures, ils sont connus essentiellement de quelques chanteurs âgés, plutôt des hommes, qui en maîtrisent le style grave et vibré, et qui, surtout, en comprennent le sens. En effet, la caractéristique principale de ces chants coutumiers est de n'être pas composés dans la langue commune parlée par tout le monde, mais dans une langue archaïsante, quasi ésotérique pour la plupart des habitants de l'île : cette langue poétique, appelée navap non Iqet "la langue d'Iqet" du nom du fondateur mythique de la région (cf. notre mythe), représente pour le mwotlap actuel, en quelque sorte, ce que la langue d'Homère était au grec classique, ou ce que l'arabe coranique est aux divers dialectes arabes aujourd'hui. Aussi n'est-il pas rare, pour les gens de Motalava, de chanter ces chants, si longs soient-ils, certes sans se tromper – mais aussi sans en comprendre un traître mot. Un simple vers de cette langue étrange, apparemment venue du fond des âges, évoque tout un monde ancien, solennel, poétique aussi. Mais cet archaïsme d'apparat n'empêche pas de nouveaux chants d'être encore aujourd'hui composés – entièrement de tête ! – par les savants aèdes de l'île, tel John Stil, âgé de plus de 90 ans.
Écouter le grand tambour cérémoniel nokoy
(chant L'Albatros; enregistré à Motalava le 30/12/1997)
Écouter un extrait de la danse namag
Danse des jeunes garçons, enregistrée à Motalava le 25/12/1997
Écouter un extrait de la danse nalangven
Danse des femmes, enregistrée à Motalava le 25/12/1997
Chant "Torrent" pour nawha titi
Enregistré à Motalava en 07/2003
Écouter un autre extrait a capella
Chant sur le travail aux cocoteraies de Vanua Lava, vers 1900.
Enregistré à Motalava en 07/2003
Les complaintes populaires
L'autre genre musical est plus à la portée de tout le monde : d'une part, il n'est pas confiné aux augustes régions du pouvoir, mais surtout il emploie la langue de tous les jours, si bien que n'importe qui peut fredonner ces chansons populaires. Ce sont généralement les jeunes gens qui prennent leur guitare, pour entonner ces airs entendus la première fois, en général, lors d'une fête de mariage, chantés par le "String Band" du village. Paradoxalement, c'est en effet surtout lors des bals clôturant la journée des noces, que se chantent ces chansons d'amours impossibles – fiançailles malheureuses qui n'eurent pas l'heur de plaire aux parents, et que l'on transforme en chansons pour ne pas souffrir tout seul. Car le plus fascinant concernant toutes ces chansons d'amour, c'est qu'elles racontent toujours l'histoire véritable d'un jeune homme ou d'une jeune fille de l'île – histoire jadis secrète d'amours adolescentes, que tout le monde, au fil des années, finit par savoir décrypter dans les allusions de chaque chanson. Ainsi, il arrive souvent que l'incipit soit une date précise, comme dans notre chanson, avec parfois mention de l'année (ex. 1978) ou un prénom ; au point que chaque chanson finit par être désignée non pas par son titre, mais par le nom de son protagoniste : nok so se nahan Kupa "Je vais chanter le 'nom' de Kupa".
Écouter la chanson "Welkam"
Enregistrée à Dolap, Gaua le 20/08/2003
Écouter la chanson "Sur la plage d'Avay"
Enregistrée à Motalava le 16/12/1997
Sur la plage d'Avay
"A lēvēthiyle Avay" rappelle les amours éphémères d'un garçon du village d'Avay, un des quatre villages de Motalava, avec une belle jeune fille venue pour quelques temps d'une autre île, et qui dut bientôt en repartir avec ses parents. À ce moment-là, il n'était pas question que leur liaison fût dévoilée, car à la moindre alerte les parents du garçon comme de la fille doivent sévir, et réprimer sans états d'âme toute liaison amoureuse entre les jeunes gens.
La seule liaison acceptée est celle que le jeune homme a déclarée officiellement aux deux familles, au cours d'une cérémonie de fiançailles dans laquelle il s'engage solennellement au mariage et à la fidélité. "Demander une jeune fille en mariage" se dit hoghog goy nam̄alm̄al, littér. offrir (hoghog) des cadeaux (noix de coco, ignames, nattes, et même de l'argent) aux futurs beaux-parents pour se réserver (goy "faire main basse sur") une fille. Cependant, à Motalava comme ailleurs, le désir des jeunes gens de 17 ans n'est ni d'attendre, ni de s'engager trop tôt – c'est pourquoi leur principal souci est de vivre leur jeunesse en se cachant perpétuellement du regard des autres. C'est d'ailleurs une connotation que peut avoir le mot vēthiyle ("plage, sable") dans la chanson, car c'est souvent sur la longue plage qui borde l'île que se passent, le soir, les rencontres secrètes des jeunes amoureux.
Écouter la chanson en version a capella interprétée par Melani d'Avay |
Écouter la chanson en version "Stringband" |
Julae namba fiftin a lemyēpyep
tigtig m̄ēlēm̄lēs no lēvēthiyle Avay
alalveg no mi nahankesip qagqag
ōlōl nahek wa titit van lepye
M̄alm̄al nok van tēy nēk a lēvēthiyle Avay
dō ak babah qēt van namyōs nōnōm
a lēvēthiyle Avay
M̄alm̄al qiyig babahne qōñ mino hiy nēk
talōw tō nēk leg leh mi natm̄an tegha
nēk wo mavan ba nitog dēmdēm meh hiy no
nēk van batatag goy natm̄an telepnō nōnōm
M̄alm̄al nok van tēy nēk a lēvēthiyle Avay
dō ak babah qēt van namyōs nōnōm
a lēvēthiyle Avay
Quinze juillet, le soir
debout sur la plage d'Avay tu m'appelles
tu me fais des signes avec un mouchoir blanc
criant mon nom, te frappant la poitrine
Jeune fille je te raccompagne sur la plage d'Avay
nous mettons un terme final à ton amour
sur la plage d'Avay
Jeune fille aujourd'hui c'est ton dernier jour avec moi
demain tu te marieras avec un autre homme
quand tu seras partie ne pense pas trop à moi
tu pars pour suivre un homme de ton île
Jeune fille je te raccompagne sur la plage d'Avay
nous mettons un terme final à ton amour
sur la plage d'Avay
Notre présentation linguistique du mwotlap s'inspire largement de cette chanson, notre préférée parmi toutes celles que nous avons entendues. Pour comprendre cette chanson dans le texte, faites donc un tour du côté de la langue mwotlap!