Promenade ethnolinguistique à Motalava

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La langue mwotlap

 

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Nous ne pouvons pas développer en détails le cas d'autres préfixes, pourtant très fréquents en mwotlap : les préfixes verbaux. Ils signalent le temps et le mode de l'action considérée, selon des critères, comme on peut l'imaginer, encore bien différents du français. On peut compter une vingtaine de tournures verbales possibles en mwotlap – il n'y a pas beaucoup de sens à parler de 20 "temps" différents, car ces tournures mettent en jeu bien d'autres notions que la seule temporalité : certitude ou non du locuteur, rapport avec une autre action, moment considéré dans le déroulement de l'action (ce qu'on appelle aspect verbal : début ou fin de l'action, etc.), désir ou au contraire crainte que l'action ait lieu…

Pour faire une phrase

D'abord, point très important en mwotlap, il n'y a pas que les verbes qui puissent servir de prédicats, c'est-à-dire qui disent directement quelque chose à propos du sujet. Contrairement au français, mais comme l'aztèque du Mexique par exemple, le mwotlap est une langue dite omniprédicative : la plupart des mots de la langue sont capables, à condition d'être correctement conjugués, de figurer à la même place que les verbes. Nous avons déjà vu qu'il n'y a pas de verbe "être" dans cette langue : c'est parce que les noms eux-mêmes (munis de l'article nA- quand ils en ont un) peuvent servir de prédicats. Ex. No na-tm̄an "Je suis un garçon.", Mey gōh, nō-mōmō. "Ceci, c'est un poisson / ce sont des poissons". C'est ainsi qu'il faut comprendre le v.8, un peu difficile : Qiyig | babahne qōñ… "Aujourd'hui [Sujet] (c'est) le dernier jour [Prédicat]…" (cf. babah "terminer", v.6).

Cette question de savoir quels mots ont le pouvoir de construire une phrase, est sans doute la plus importante pour bien rentrer dans la langue. C'est en fonction de ce sentiment que l'on délimitera correctement les énoncés, en déchiffrant où ils commencent et où ils s'arrêtent : à l'oral, sans ponctuation, ce n'est pas toujours facile !

Le sens du redoublement

Si nous revenons aux verbes eux-mêmes, ces mots prédicatifs qui désignent des actions, il reste encore à signaler deux points intéressants : l'un concerne le redoublement, l'autre le groupe verbal et les verbes complexes.

Vous avez déjà remarqué la facilité avec laquelle la langue mwotlap redouble ses radicaux : dans notre chanson, on pourrait citer plus d'une dizaine de mots ayant l'aspect d'une racine redoublée – qagqag, ōlōl… D'une façon générale, le redoublement du radical signifie la pluralité (cf. ya-thithi-k "mes frères", ya-gnōgnō-y "leurs épouses") ; un verbe redoublé signifie soit la pluralité de ses sujets [ex. Ige susu mal mitimtiy qēt. "Les enfants sont tous endormis (chacun de son côté)"], soit la multiplicité, l'intensité ou la durée des actions. Par exemple, on distinguera Kē me-m̄lēs nēk. "Il t'a sifflé (un coup)." de Kē me-m̄lēm̄lēs nēk. "Il t'a sifflé (pendant un certain temps)." Dans notre chanson, les quatre premiers vers décrivent une situation qui dure un certain temps, et que l'on évoque dans son déroulement : tigtig "(tu) restes debout" / tig "tu te lèves" ; al-alveg "tu me fais des signes de la main" ; de même, le redoublement dans m̄ēlēm̄lēs (m̄lēs), ōlōl (ōl), titit (tit) marquent la durée et la répétitivité de l'action.

Cependant, une description fine du phénomène requerrait un ouvrage entier, d'autant plus que les règles varient non seulement selon les tournures employées, mais aussi selon les préférences de chaque verbe, ou presque. La recherche linguistique peut s'étendre à l'infini, dès lors que l'on cherche à comprendre précisément le fonctionnement d'une langue.

Les verbes simples et les verbes complexes

Enfin, le dernier fait majeur de la syntaxe du mwotlap que nous mentionnerons ici concerne l'organisation interne du groupe verbal. Un fait original de ce type de langues, est la possibilité de créer des verbes complexes à partir de deux verbes simples : c'est ce qu'on appelle des séries verbales. Ex. van "aller" + tēy "tenir"> van tēy "apporter, amener" (v.5 : "accompagner") ; leg "épouser" + leh "changer, remplacer"> leg leh "se remarier" (v.9). Plus simplement, le v.2 donne "siffler tout en restant debout", et ak babah qēt (v.6) signifie exactement "faire-cesser-complètement". Eh oui, à Motalava aussi, il faut parfois mettre un terme définitif même aux belles histoires d'amour !

Voilà, notre promenade autour de l'île de Motalava est déjà terminée. Le parcours que vous venez de suivre dans la grammaire du mwotlap devrait vous permettre de reconnaître et ressentir la plupart des mots de notre belle complainte dans le texte original – à moins que ce ne soit l'inverse, les paroles de cette chanson permettant d'entrer facilement dans presque tous les recoins d'une langue et d'une culture assez bien représentative des îles mélanésiennes du Pacifique, entre Papouasie du côté du couchant et Polynésie au levant. En parlant de soleil couchant, si nous allions écouter, pour finir, le diseur de mythes Taitus Lolo, nous conter l'origine de la nuit et du sommeil parmi les hommes ?